10.10.2013 / Komplex 457
Alpha Blondy
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On ne devrait pas avoir besoin de présenter Alpha Blondy, superstar du reggae ivoirien actif depuis les années 1980, véritable horticulteur de tubes devenus des classiques, de « Brigadier Sabary » à « Jérusalem » en passant par « Afriki » et « Apartheid Is Nazism ».
Et pourtant, malgré son statut de commandeur du groove africain, Alpha se réinvente à chaque album, évitant les pièges du formatage et amenant à chaque fois un nouvel élément à son mix.
Et bien sûr, Mystic Power, son seizième album studio, ne fait pas exception à la règle. « On a fait un très beau travail avec mon groupe Solar System. J’ai voulu innover, développer le côté rock. On dit toujours “Roots Rock Reggae“, mais en fait c’est bien souvent “roots reggae“. Je ne voulais pas rester dans l’ethnique, le tribal. Je veux agrandir la dimension du reggae, toucher tous les fans. Dans cet album il y a des chansons planantes, d’autres avec de la guitare » explique Alpha devant son expresso serré. Et de fait, sur des titres comme « Seydou » et « J’Ai Tué Le Commissaire », la six cordes se taille la part du lion, rugissant des riffs qui s’accordent bien avec le son roots mixé par le grand Dennis Bovell (Linton Kwesi Johnson, Fela, I-Roy, Madness).
L’invité de marque est bien sûr Beenie Man, qui ouvre l’album avec « Hope ». « Beenie Man et moi on a partagé la scène au Surinam et en Guyane. J’ai aimé son show, en plus c’est un mec qui a beaucoup d’humour. Je lui ai proposé un featuring sur mon prochain album, il m’a dit No Problem. Il m’a appelé quand il était en Allemagne, il voulait vraiment venir. On a payé son billet, et on a enregistré “Hope“ à Marcadet dans une bonne ambiance. J’ai aimé Beenie parce la musique qui soutient ses toastings est très reggae. Les aboiements, ça fatigue le système ».
On connaît le goût d’Alpha pour les adaptations françaises de classiques du reggae ou de la chanson. Coup double sur Mystic Power avec « J’Ai Tué le Commissaire » et « Le Métèque ». La première chanson est une version du classique de Bob Marley « I Shot The Sherif » qu’Alpha avait traduite à la fin des années 70, au Max’s Kansas City de New York, juste pour le fun. Trente ans plus tard, il finalise cette superbe cover. « J’ai transcrit le texte, mais j’ai gardé l’esprit. En Français, ça sonne plus violent. J’aime le côté cynique et naïf du personnage. Et j’ai voulu mettre en exergue l’humour noir de Bob ».
L’autre reprise est celle d’un monument de la chanson française, déjà adaptée par Joey Starr, « Le Métèque » de Georges Moustaki. « L’adapter en reggae ça n’était pas dur. “Avec ma gueule de Nègre métèque, de Juif errant, de rasta grec“, je voulais ça. C’est lent et bien posé, j’aime beaucoup. Il y a de très belles chansons françaises qui n’ont pas été exploitées comme il se doit. Je veux donner une nouvelle jeunesse à des chansons bien écrites en les “reggae-ifiant“. Le jeu en vaut la chandelle ».
« Pardon » flirte avec l’actualité ivoirienne. Dans ce morceau acoustique, le chanteur bat sa coulpe : « Je me suis réveillé au pied du mur de ma vanité, j’ai entendu ma conscience pleurer, je me suis mis à prier ». Cette chanson est le Mea Culpa d’Alpha pour n’avoir pas su arrêter les violences en Côte d’Ivoire. « J’espère qu’ils comprendront que j’ai fait ce que j’ai pu. J’ai essayé. J’ai vraiment essayé. Mais Dieu en a décidé autrement. “Ils“ ont bousillé la Côte d’Ivoire. Ils ont montré leurs limites en tant qu’hommes politiques. Ils parlent du peuple qu’ils aiment, mais permettez-moi de douter de leur amour. S’ils aimaient les Ivoiriens, ils auraient fait des concessions chacun de leur côté pour éviter ce qu’on a vu. Quand tu lis les journaux, des fois tu as l’impression qu’ils n’ont rien compris. Combien de litres de sang leur faudra-t-il pour qu’ils comprennent ? »
Alpha, lui, n’oublie pas de rappeler que les vieux démons de son cher pays ne sont jamais loin avec « Danger Ivoirité », piqure de rappel pour que l’on n’oublie pas cette version africaine de la préférence nationale. « Je l’ai toujours dit : ce concept négro nazi est dangereux. On a commencé à parler d’Ivoiriens de souche multiséculaire, d’origine ou de circonstance. Et comme nous sommes un peuple très fier, si on traite un Ivoirien de plus ivoirien qu’un autre, on a une guerre.Voilà pourquoi j’ai dénoncé l’ivoirité dans ce morceau ».
Difficile de trouver un meilleur titre que « Réconciliation » pour l’un des morceaux les plus surprenants de ce disque puissant : quel meilleur symbole de la réconciliation d’un pays meurtri qu’un duo avec le chanteur qui fut jadis le meilleur ennemi d’Alpha, Tiken Jah Fakoly ? « Unis nous serons forts », dit Alpha dans les remerciements de son album. Et il met ses actes en accord avec ses paroles.
Malavoi fait la fermeture de l’album avec une brève conclusion, clin d’oeil à cet « Exil », une composition qu’Alpha découvrit en 1988 et qui n’a jamais cessé de le hanter. Lee Jaffe, qui joua de l’harmonica sur l’album de Bob Marley Natty Dread, est un autre artiste invité sur ce Mystic Power qui marque le retour d’un Alpha au sommet de son art.
Mélodiste, militant et philosophe.
Tout simplement le plus important artiste africain du reggae contemporain.
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